L’éducation sensorielle des enfants dans la pédagogie Montessori

N’aidez jamais un enfant à accomplir une tâche à laquelle il pense pouvoir réussir. – Maria Montessori

Est-ce que l’éducation sensorielle de Montessori peut être bénéfique pour des enfants en difficulté scolaire ?

La pédagogie Montessori donne une place importante à l’apprentissage sensoriel, notamment avec sa très large gamme de matériel pédagogique dédiée au travail des sens.

Il semble donc pertinent de consacrer un article à ce thème afin de se pencher sur les raisons de l’importance de cet apprentissage. D’autres thèmes connectés à cette éducation sensorielle seront aussi abordés, notamment l’importance de la parole dans les apprentissages.

Pour Maria Montessori, le travail sur les sens est l’une des clés de la normalisation.

Dans son livre La Pédagogie scientifique, Maria Montessori écrit :

« L’éducation sensorielle est nécessaire, comme base de l’éducation esthétique et de l’éducation morale. En multipliant les sensations et en développant la capacité à apprécier les plus infimes différences entre les stimulants, on affine la sensibilité. »

Source 1 📚

Maria Montessori, « Pédagogie Scientifique Tome 1 : La découverte de l’enfant », Desclée de Brouwer, 2018, p. 162.

Cette citation montre bien le rôle de l’éducation sensorielle. Il s’agit d’une base, d’un prérequis pour d’autres apprentissages comme l’éducation esthétique et l’éducation morale.

Un des objectifs de cet apprentissage est de permettre à l’enfant d’être présent au monde et d’avoir une conscience précise de son environnement.

De plus, l’éducation sensorielle est aussi un pilier qui fonde l’apprentissage de l’abstraction. Maitriser l’abstraction, c’est être capable de créer et de manipuler des concepts.

C’est un travail purement intellectuel. 🧠

Pourtant l’apprentissage de l’abstraction ne peut se réaliser seulement de manière intellectuelle, il est nécessaire de se baser sur des éléments concrets puis d’évoluer progressivement vers des concepts plus abstraits.

Et le meilleur moyen de s’appuyer sur le concret est d’utiliser les perceptions sensorielles. C’est précisément ce raisonnement que tient Maria Montessori lorsqu’elle parle de l’apprentissage de l’abstraction. Cela met donc encore plus en valeur l’importance majeure d’une bonne éducation sensorielle.

Il est aussi intéressant de se pencher sur un autre élément soulevé par Maria Montessori lorsqu’elle parle de l’éducation des sens. Elle insiste sur l’importance de lier les perceptions sensorielles avec la parole et avec des mots précis.

Pour illustrer cela, Maria Montessori expose le cas d’un petit garçon de 5 ans qui avait beaucoup développé sa vue et notamment sa discrimination des couleurs [source 2]. Ce jeune garçon avait appris en 15 jours à trier et classer plus de 64 couleurs différentes, même avec des nuances très subtiles. Cependant, lorsqu’elle a visité cette école, Maria Montessori s’est rendue compte que ce petit garçon ne connaissait pas du tout les mots qui correspondent aux couleurs et surtout qu’il avait beaucoup de mal à les retenir.

Source 2 📚

Maria Montessori, L’enfant, Desclée de Brouwer, 2018, chapitre « La répétition de l’exercice », p. 131-132.

Montessori a donc créé une méthodologie en trois étapes pour s’assurer que le langage est bien associé aux perceptions. [source 3]

Cette méthodologie est à appliquer par l’adulte, qui cette fois est acteur dans l’apprentissage de l’enfant.

Source 3 📚

Maria Montessori, « Pédagogie Scientifique Tome 1 : La découverte de l’enfant », Desclée de Brouwer, 2018, p. 133.

Les 3 étapes pour lier la langage aux perceptions sensorielles

  • La première étape est l’association de la perception sensorielle avec le nom. En prenant l’exemple de l’apprentissage des couleurs, l’adulte présente une carte de couleur verte à l’enfant et on lui dit « c’est vert ».
  • La deuxième étape est la reconnaissance de l’objet correspondant au nom. Pour cette étape, l’adulte demande à l’enfant « Donne-moi le bleu » et l’enfant doit choisir la bonne carte de couleur parmi plusieurs.
  • La troisième et dernière étape consiste à se souvenir du nom qui correspond à l’objet. L’adulte prend alors une des cartes de couleur et demande à l’enfant « Comment est-ce ? ». L’enfant devra alors répondre en disant quelle est la couleur de la carte. Maria Montessori conclut même cette partie en disant que le fait d’associer un nom avec un stimulant sensorielle donne très souvent « une grande joie à l’enfant » [source 3 également].
salle de classe Montessori

Un autre élément intéressant soulevé par Maria Montessori lorsqu’elle traite de ce thème est le concept du « plus grand isolement possible des sens » [source 3 page 134].

Ce « plus grand isolement possible des sens » désigne le fait de ne travailler qu’un seul sens en même temps pendant l’éducation sensorielle. 

Une bonne partie du matériel que les enfants peuvent retrouver dans les environnements Montessori est basé sur ce concept de « plus grand isolement possible des sens ».

Voici la très bonne explication de Sylvie d’Esclaibes, fondatrice de l’Ecole Montessori Internationale de Paris et formatrice Montessori.

D’un point de vue psychologique, on a remarqué que, pour mieux révéler la qualité particulière, il faut, autant que possible, isoler les sens : une impression tactile est plus claire s’il s’agit d’un objet qui n’est pas conducteur de la chaleur, c’est-à-dire qui n’apporte pas en même temps des impressions de température ; et l’impression sera d’autant plus perceptible si le sujet se trouve dans un endroit obscur et silencieux où il ne peut percevoir ni impulsion visuelle ni auditive susceptibles de troubler ses impressions tactiles. [source 4]

Source 4 📚

Sylvie D’Esclaibes, « Le matériel Montessori : le sensoriel », Le Blog Montessori de Sylvie D’Esclaibes, 10 avril 2013.

Le thème des perceptions sensoriel étant complexe, il peut être intéressant de se pencher rapidement sur d’autres points de vue afin de s’en faire une meilleure idée.

Les autres écoles sur l’éducation des sens chez l’enfant

Une première vision intéressante autour de l’éducation sensorielle est celle de Jean-Jacques Rousseau, le philosophe qui a posé les bases qui ont inspirées de nombreuses pédagogies nouvelles et notamment la méthode Montessori.

Dans L’Émile, son principal ouvrage sur l’éducation, il dit : 

« Les premières facultés qui se forment et se perfectionnent en nous sont les sens. Ce sont donc les premières qu’il faudrait cultiver ; ce sont les seules qu’on oublie ou celles qu’on néglige le plus. » [source 5 ]

Source 5 📚

Jean-Jacques Rousseau, « L’Emile ou De l’éducation », 1762.

Comme on le voit dans cette citation, le philosophe insiste sur l’importance des sens et sur le fait qu’ils sont trop souvent négligés et que leur importance est sous-estimée.

Un autre point de vue intéressant est celui de la philosophie sensualiste, une philosophie dérivée de l’empirisme qui postule que toute connaissance provient des perceptions sensorielles.

Si on en croit cette théorie de la connaissance, alors les sens ont une importance encore plus grande que celle postulée par Montessori ou Rousseau. Il est d’ailleurs souvent affirmé que l’œuvre de Condillac, le représentant le plus influent du sensualisme, aurait impacté le travail de Maria Montessori.

Une troisième vision intéressante en rapport avec les perceptions sensorielle est celle des neurosciences. L’éducation sensorielle n’est pas forcément très en vogue dans cette discipline, cependant, il existe plusieurs concepts qui impliquent grandement l’usage des sens et de nombreuses études prouvent leur importance.

Le concept le plus intéressant par rapport à l’éducation est celui de stimulation multisensorielle dans les apprentissages. En effet, de nombreuses études [source 6] montrent l’intérêt de stimuler plusieurs sens pour apprendre quelque chose, à l’image de l’utilisation des lettres rugueuses qui stimulent le toucher, la vue et l’ouïe pour apprendre les lettres de l’alphabet. Ce principe de stimulation multisensorielle est particulièrement intéressant pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.

Source 6 📚

Par exemple : Alexandra Prunier, « L’impact de la stimulation multi-sensorielle sur la mémorisation à long terme », Education, 2015.

Ainsi, vue l’importance de concepts impliquant l’utilisation des sens dans les neurosciences appliquées à l’éducation, il peut être conclu que l’éducation sensorielle est essentielle. En effet, sans éducation des sens, l’utilisation de ces derniers pour les apprentissages risque d’être bien plus délicate puisqu’ils ne seront pas forcément suffisamment précis ou conscients.

L’éducation des sens est un sujet tout particulièrement intéressant pour les enfants en difficulté scolaire. Chez Sequoia Education, nous en sommes convaincus depuis un certain temps et tous les éléments que nous venons de vous présenter ne font que confirmer l’importance de ce travail sur les sens.

Le concept de passage du concret à l’abstrait est particulièrement intéressant puisque souvent, les élèves en difficulté scolaire ont du mal avec l’abstraction et donc avec la manipulation de concepts, notamment parce que leur apprentissage n’a pas été basé sur du concret et appuyé sur leurs perceptions sensorielles.

Ainsi, en remédiation, il est indispensable de reprendre le chemin logique qui part du concret et du sensoriel pour aller vers l’abstrait afin de pouvoir construire et travailler sur des concepts. Nous sommes particulièrement attentifs à ce point lors de la création de nos exercices pédagogiques et nous recommandons à toute personne qui travaille avec des enfants en difficulté scolaire de faire de même. 

Le travail des sens, notamment en début de séance, peut parfois sembler être une perte de temps, pourtant, nous sommes convaincus qu’il s’agit, au contraire, de temps gagné, puisque les enfants seront ensuite bien plus réceptifs.

Le fait de travailler sur les perceptions sensorielles améliore la conscience de l’environnement. Cette conscience sensorielle est très importante puisque sans elle, il est impossible d’avoir des certitudes.

Si, on n’est pas sûr de la précision de que l’on voit, de ce que l’on touche et de ce que l’on entend, alors comment pouvoir être sûr des réponses que l’on donne ?

Très souvent les enfants en difficulté scolaire n’ont que très peu de certitude. Ils donnent des réponses qui leur semblent plausibles, mais comme ils ne savent pas vraiment comment ils ont fait pour arriver à cette réponse, ils ne peuvent pas affirmer avec certitude que leur réponse est exacte.

Cette incertitude, en plus de leur faire produire par moment des réponses erronées, sape leur confiance en eux et met ces enfants dans une situation très inconfortable.

Voilà pour quoi il est très important de donner à ces enfants en difficultés des moyens de consolider leurs perceptions sensorielles afin d’avoir des bases solides sur lesquelles se reposer.

S’ils sont sûrs de ce qu’ils voient ou de ce qu’ils lisent, alors ils ont déjà des certitudes et ils peuvent ensuite construire progressivement un raisonnement à partir de ces éléments.